SOC.
PRUD'HOMMESCH.B
COUR DE CASSATION
Audience publique du 10 décembre 2003
Rejet
M. SARGOS, président
Pourvoi n° T 01-44.732
Arrêt n° 2596 FS D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Frédéric Z, demeurant Paris,
en cassation d'un arrêt rendu le 22 mai 2001 par la cour d'appel de Paris (18e chambre D), au profit de M. Jean-Luc Y, demeurant Paris,
défendeur à la cassation ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 28 octobre 2003, où étaient présents M. Sargos, président, M. Gillet, conseiller rapporteur, MM. Boubli, Chagny, Bouret, Coeuret, Bailly, Chauviré, Mme Morin, conseillers, Mmes Lebée, Andrich, MM. Funck-Brentano, Leblanc, Mmes Slove, Bobin-Bertrand, Manès-Roussel, Farthouat-Danon, Divialle, conseillers référendaires, M. Duplat, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Gillet, conseiller, les conclusions de M. Duplat, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Attendu, que M. Jean-Luc Y, pharmacien-assistant dans l'officine de M. Frédéric Z située à Paris, au drugstore des Champs-Élysées, a été licencié pour faute grave au motif qu'après avoir, pour absence de prescription médicale, refusé la délivrance d'un médicament soumis à une telle prescription à une personne s'étant présentée de nuit en faisant état d'une situation d'urgence, il aurait refusé toute autre assistance alors que cette personne lui indiquait que la demande était faite pour un sujet en proie à une crise d'asthme dans une rue voisine, sujet qui devait ultérieurement décéder ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 22 mai 2001) d'avoir écarté la faute grave, dit que le licenciement avait seulement une cause réelle et sérieuse et condamné M. ... à verser à M. Y diverses sommes, alors, selon le moyen
1°/ que le juge pénal a constaté, d'une part, que M. Y était coupable de non-assistance à personne en danger et d'autre part, qu'il avait commis ce manquement "comme étant pharmacien" c'est-à-dire en violation de ses devoirs de professionnel de santé obligé, "dans le respect de la vie et de la personne d'autrui" selon l'article R. 5015-21 du Code de la santé publique, à porter secours à toute personne en danger immédiat selon l'article R. 5015-71 du même Code ; qu'il s'évinçait de ce double constat, qui s'imposait au juge prud'homal, que M. Y avait commis une faute qui, en contradiction totale avec ses obligations humanitaires essentielles, constituait une menace prochaine pour l'officine de M. Z, dont elle ruinait publiquement la réputation et la capacité même à répondre à ses devoirs les plus élémentaires, ce qui justifiait une perte de confiance totale et définitive de l'employeur ; qu'en estimant néanmoins qu'une telle faute ne constituait pas une violation des obligations découlant du contrat justifiant la qualification de faute grave, la Cour d'appel a violé l'article L. 122-6 du Code du travail ;
2°/ que pour justifier son refus de qualifier de "faute grave" la faute commise par M. Y, la Cour d'appel a estimé qu'il n'y avait pas eu de sanction ou d'avertissements antérieurs pour des faits de même nature ; qu'en soumettant ainsi la gravité de la faute consistant, pour un professionnel de santé, à refuser sciemment de porter secours à un malade en péril de mort, à la répétition voire à la sanction d'actes de même nature, quand la réalisation d'un seul acte suffit à constituer une faute grave dès lors qu'il fait peser une menace actuelle sur l'entreprise et occasionne la perte de confiance définitive de son employeur, la Cour d'appel a violé l'article L. 122-6 du Code du travail ;
3°/ que pour justifier son refus de qualifier de "faute grave" la faute commise par M. Y, la Cour a encore estimé qu'il était âgé de 48 ans au moment du licenciement et qu'il travaillait depuis 12 ans dans l'entreprise ; qu'en retenant ainsi à la décharge de M. Y des circonstances qui rendaient plus inexcusable son comportement M. Y, à l'inverse d'un jeune pharmacien, ne pouvant rien ignorer, par son expérience, de la gravité de ses obligations de professionnel de santé ni de la gravité de son refus de porter secours à un malade en péril de mort la Cour d'appel a derechef violé l'article L. 122-6 du Code du travail ;
4°/ que la faute grave, qui constitue une violation des obligations du contrat ou des relations de travail rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, se caractérise essentiellement par la menace prochaine qu'elle fait peser sur l'entreprise ; qu'il s'ensuit qu'il ne peut y avoir d'appréciation légale de la gravité d'une faute, invoquée par l'employeur, sans que soit examinée l'incidence actuelle de celle-ci sur l'intérêt de l'entreprise ou sa compatibilité avec la poursuite actuelle du contrat dans l'entreprise, conformément aux objectifs et aux obligations de cette dernière ; qu'en l'espèce, M. Z avait attiré l'attention de la Cour sur le fait que la faute de M. Y avait été dénoncée quasi unanimement par ses confrères pharmaciens dans la presse professionnelle et avait déclenché une véritable campagne médiatique dans la presse nationale et étrangère et qu'elle avait publiquement porté préjudice tant au titulaire de l'officine qu'à l'image de la pharmacie du Drugstore des Champs-Élysées, ce qui constituait une menace pour l'entreprise à laquelle il devait être immédiatement mis fin ; qu'en se bornant à examiner les seules conditions propres au salarié et susceptibles de l'excuser, sans examiner en rien, par une motivation contrôlable, l'incidence de sa faute sur l'intérêt de l'entreprise, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-6 du Code du travail ;
Mais attendu, qu'eu égard à l'ancienneté du salarié et aux circonstances particulières entourant les faits qui lui étaient reprochés la cour d'appel a pu, sans encourir les griefs du moyen, décider que ces faits ne rendaient pas impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise pendant la durée du préavis et ne constituaient donc pas une faute grave ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille trois.