SOC.
PRUD'HOMMESD.S
COUR DE CASSATION
Audience publique du 17 juin 2003
Rejet
M. SARGOS, président
Pourvoi n° D 01-41.522
Arrêt n° 1623 FS P
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Jean-Pierre Z, demeurant Vaureal,
en cassation d'un arrêt rendu le 16 janvier 2001 par la cour d'appel de Paris (18e chambre D), au profit
1°/ de la société Alitalia, dont le siège est Paris,
2°/ de la société Alitalia SPA, dont le siège est Roma,
défenderesses à la cassation ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 6 mai 2003, où étaient présents M. Sargos, président, M. Bailly, conseiller rapporteur, MM. Boubli, Ransac, Chagny, Bouret, Coeuret, Chauviré, Gillet, conseillers, M. Frouin, Mmes Lebée, Andrich, M. Leblanc, Mmes Slove, Farthouat-Danon, Bobin-Bertrand, conseillers référendaires, M. Kehrig, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Bailly, conseiller, les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de M. Z, de la SCP Gatineau, avocat de la société Alitalia, de la société Alitalia SPA, les conclusions de M. Kehrig, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que, dans le cadre d'une restructuration du groupe Alitalia, un accord a été conclu le 19 juin 1996 entre la société Alitalia Spa et des syndicats italiens, qui prévoyait notamment des réductions d'effectif en Italie et une participation des salariés au capital de l'entreprise ; que le 15 janvier 1998 une assemblée générale extraordinaire des associés de la société italienne Alitalia a décidé une augmentation du capital social et l'attribution d'un droit d'option sur les actions nouvellement émises à cet effet aux salariés du groupe, en conformité avec les accords syndicaux conclus à ce sujet ; que le 3 juin 1998, un nouvel accord-cadre entre la société Alitalia et des syndicats italiens a prévu que les actions nouvellement émises seraient attribuées aux salariés ayant un contrat italien à durée indéterminée, y compris le personnel transféré à l'étranger ; que 122 salariés de la société Alitalia employés en France, ayant été exclus de ce droit d'option ont saisi le juge prud'homal pour obtenir l'exécution forcée, à leur profit, de l'accord du 3 juin 1998, par l'attribution d'actions nouvelles ;
Sur le premier moyen
Attendu que M. Z fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2001) de l'avoir débouté de sa demande tendant à bénéficier de l'accord du 3 juin 1998, alors, selon le moyen
1°/ que la règle impérative "à travail égal salaire égal" constitue une loi de police qui s'applique à tous les salariés d'une entreprise travaillant en France, quelle que soit la loi applicable à leur contrat de travail ; que la soumission d'un contrat de travail s'exécutant en France à une loi étrangère ne saurait, sauf justification particulière qu'il appartient à l'employeur de prouver, constituer un critère objectif justifiant l'octroi de salaires différents pour un travail égal ; qu'en affirmant dès lors que la soumission à la loi italienne de certains contrats liant certains salariés à la société Alitalia travaillant en France pouvait justifier, en raison de contraintes d'ordre technique, juridique et fiscal indéfinies et imprécises, l'octroi à ces salariés d'avantages particuliers, à savoir la distribution d'actions de la société, la cour d'appel a violé les articles L. 133-5, 4° et L. 136-2, 8° du Code du travail, ensemble l'article 3 du Code civil et l'article 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980 ;
2°/ que le comité d'entreprise ou d'établissement d'une succursale française d'une entreprise étrangère doit être informé et consulté sur les problèmes généraux concernant les modes de rémunérations et notamment sur les accords relatifs à la rémunération de certains salariés travaillant en France quand bien même ils seraient négociés au siège, situé à l'étranger, de l'entreprise ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 432-3 du Code du travail, ensemble l'article 3 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, qu'une inégalité de traitement entre des salariés peut être justifiée lorsqu'elle repose sur des raisons objectives, étrangères à toute discrimination prohibée ;
Attendu, ensuite, qu'abstraction faite des motifs critiqués dans la première branche du moyen et qui sont surabondants, la cour d'appel a constaté que l'attribution d'un droit d'option sur les actions nouvellement créées aux seuls salariés dont les contrats relevaient du droit italien constituait la contrepartie des sacrifices que ces derniers avaient acceptés dans le plan de restructuration de 1996 et qu'il n'était pas établi que ce plan ait concerné les salariés en poste en France, aucune restructuration accompagnée de licenciements n'ayant été prévue en France ; qu'elle a ainsi fait ressortir dans son arrêt que l'avantage conféré aux salariés dont les contrats relevaient de la loi italienne reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité ;
Attendu, enfin, que l'absence d'information et de consultation du comité d'entreprise français sur les avantages en matière de rémunération, dont auraient pu bénéficier des salariés relevant de la loi italienne et travaillant en France ne pouvait avoir pour conséquence d'entraîner la nullité de l'accord conclu le 3 juin 1998, et de permettre aux autres salariés dont les contrats étaient soumis à la loi française de bénéficier du même avantage ;
D'où il suit que le moyen, non fondé en sa première branche et inopérant en sa seconde branche, ne peut être accueilli ;
Sur les deuxième et troisième moyens réunis
Attendu que M. Z fait encore grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande, tendant à bénéficier de l'accord du 3 juin 1998 alors, selon le moyen
1°/ qu'est contraire à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté toute discrimination fondée notamment sur la nationalité, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le personnel d'Alitalia de nationalité française, y compris l'exposant, a été privé en vertu de l'accord d'entreprise litigieux de la répartition des actions de la compagnie qui fut réservée exclusivement aux salariés bénéficiant d'un "contrat italien" ; que sont inopérants les motifs par lesquels l'arrêt attribue à la compagnie des "raisons d'ordre technique, juridique et fiscal" d'ailleurs indéfinies ; d'où il suit que l'arrêt est entaché d'une violation de l'article 39 (ancien 48) du Traité instituant la Communauté européenne ;
2°/ que sont incompatibles avec le marché unique et interdites les pratiques concertées susceptibles d'affecter le commerce entre États membres tendant notamment à répartir les marchés ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que Alitalia a passé un accord avec les seuls syndicats "italiens", en vertu duquel tous les salariés de la même entreprise autres que ceux bénéficiant d'un "contrat italien" seraient exclus de l'opération de restructuration par laquelle la société Alitalia leur attribuait une partie du capital social en rétribution des services rendus ; qu'ayant été ainsi limitée au seul territoire italien à l'exception de la France, voire des autres États membres, cette opération caractérise une répartition des marchés à l'intérieur du marché unique ; qu'en outre, en défavorisant ses salariés non titulaires d'un "contrat italien", Alitalia s'octroie des avantages illicites à l'extérieur du territoire italien ; que l'Etat italien est d'ailleurs le principal actionnaire de Alitalia ; d'où il suit qu'en s'abstenant de vérifier même d'office la légalité d'une telle pratique discriminatoire et restrictive du marché, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un refus d'application des articles 81 et 92 du Traité instituant la Communauté européenne ;
3°/ que la jouissance des droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme doit être assurée sans aucune discrimination fondée, notamment, sur l'origine ou l'appartenance nationale ; que l'article 1er du Protocole additionnel garantit, pour toute personne physique, le droit au respect de ses "biens" ; que les actions d'une société ou le droit de souscription des actions constitue un "bien" au sens de l'article 1er susvisé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré valable l'accord conclu entre la société Alitalia et les syndicats italiens, en date du 3 juin 1998, en vertu duquel seuls les salariés ayant conclu un contrat de travail soumis au droit italien bénéficiaient d'un droit de souscription des actions à leur valeur nominale, à l'exclusion des autres salariés d'Alitalia travaillant sur le territoire d'un autre Etat membre ; qu'en consacrant une telle discrimination, la cour d'appel a violé l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 1er du protocole additionnel de cette convention ;
4°/ qu'une différence de traitement dans l'exercice d'un droit garanti par la Convention n'est justifiée qu'à la condition de poursuivre un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre la discrimination et le but visé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que la différence de traitement entre les salariés de la société Alitalia soumis à un contrat de travail relevant du droit italien et les autres salariés dont les contrats de travail relevaient d'un autre droit, était justifiée par des contraintes d'ordre technique, juridique et fiscal ; qu'en statuant par ces seuls motifs, sans expliciter ces contraintes et sans rechercher si un rapport raisonnable existait entre la discrimination opérée par la société Alitalia et les contraintes susvisées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Mais attendu d'abord, que la cour d'appel, qui a constaté que l'attribution aux seuls salariés dont les contrats relevaient de la loi italienne d'un droit d'option sur les actions nouvellement émises, constituait la contrepartie des sacrifices acceptés par ces derniers à l'occasion de la restructuration de l'entreprise en Italie, a ainsi fait ressortir dans son arrêt que la différence de traitement avec les autres salariés, dont elle a également constaté qu'ils n'avaient pas été soumis aux mêmes mesures de restructuration, reposait sur une justification objective et raisonnable indépendante de la nationalité des travailleurs concernés et proportionnée à l'objectif légitimement poursuivi par l'accord du 3 juin 1998 ; qu'abstraction faite des motifs critiqués dans les première et quatrième branches des moyens réunis et qui sont surabondants, elle a ainsi légalement justifié sa décision ;
Attendu ensuite qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni de la procédure, que le salarié ait prétendu que l'accord du 3 juin 1998 contrevenait aux articles 81 et 92 du Traité instituant la Communauté Européenne ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
D'où il résulte que les moyens, irrecevables en leur deuxième branche, ne sont pas fondés pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Alitalia aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Alitalia ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille trois.